Coup de Fil

Publié le 29 Novembre 2020

Ce matin gris et pluvieux me trouva en course vers la galerie où je retrouvais un ami qui m’avait appelé à le rejoindre pour me frayer laborieusement un chemin dans une foule sur les nerfs… qui se pressait pour voir l’exposition qui était à l’endroit où tout ce voulait se faire voir devait être vu… l’ami en question m’avait promis qu’il serait là et ne manquerait cette exposition pour rien au monde la semaine précédente : ‘Il faut absolument que tu voies ça ! C’est exceptionnel…’ m’avait-il promis…

Le carton d’invitation indiquait qu’il s’agissait d’une exposition ‘d’art qui ne tient qu’à un fil’…

Ma curiosité était à son comble à mon arrivée sur le lieu sacré de l’exposition…

 

Tout le monde… et quiconque était quelqu’un y était…

Quiconque voulait être quelqu’un s’y trouvait…

Tout le monde poussait et bousculait pour voir et se faire voir… se pressait pour entrer… dans cette galerie qui avait du être spacieuse avant… en tout cas assez spacieuse pour offrir plus de place à ses visiteurs… je dirais accueillir au moins une centaine d’invités… même se tenant à bout de bras… mais ce soir-là n’était pas une de ces soirées-là… la fièvre faisait rage… et la salle était à son comble… de toute évidence une recette qui fait recette…

 

Etrangers en goguette… touristes en mal d’argonautes… journalistes en manque de papier… galeristes en manque d’artistes… photographes cameramen hommes femmes enfants… tous se pressaient là dedans…

 

TOUS, je vous dis… tous étaient là dedans tels des sardines en boite… et moi qui espérais… qui essayais désespérément les survoler sans les survolter… une composition non artistique de l’espèce humaine à la dérive… tous espéraient au moins qu’on les aurait vu… fi de l’exposition…

 

Arborant le sourire d’oreille à oreille à la fois décontenancé et satisfait d’être j’abordais finalement mon ami qui s’impatientait… en état d’ébullition plus qu’avancé…

J’ai cru que tu ne viendrais jamais ! Il va maintenant donner une présentation de son art… Tu verras c’est un pur génie ! La créativité à l’état pur’… s’exclamait-il multipliant les superlatifs…

OK… allons donc voir celui dont le nom est sur toutes les lèvres’

L’artiste avait à peine mis deux phrases bout à bout que je ne l’écoutais déjà plus…

 

Au fait… vas-tu enfin me dire où je peux trouver ce chef d’œuvre… où se cache-t-il donc ? Où donc ont-ils pu le mettre ?

Et là, j’ai bien cru que mon ami allait défaillir… il était au bord de la crise d’apoplexie…

Comment où ça ? Où ? Comment ça où ? Mais tu es dedans depuis le début ?

Il leva les yeux au ciel… et là je vis… je le vis… enfin…

 

Le fil blanc… le fil blanc était là… là haut… en l’air… dans les airs… suspendu au plafond blanc de la pièce blanche… blanche du sol au plafond… blanc blanc blanc… et ce fil blanc pendu là comme si de rien n’était… j’étais sous le choc… quoi ? Tout le monde était vraiment venu pour ça… moi qui avait la soirée à chasse au dahu…  et le fil était là sous mes yeux depuis le début… sans que je m’en sois aperçu… moi qui me disais depuis le début que je voyais pas l’intérêt de la manœuvre… ma vie d’amateur d’art ne tenait plus qu’à un fil… dans ce puits sans fond, ce tonneau des Danaïdes de l’art abstrait… une affaire qui n’était pas cousue de fil blanc…

 

Le fil prenait toute sa dimension de l’expansion dans l’extension de l’espace… devenant par là-même sa propre radiation… bondissant et rebondissant… retentissant sur les parois pariétales d’une couleur assourdissante… redéfinissant l’espace de ses propres limites et selon ses propres règles…

 

Ok… d’accord… de l’art… abstrait… mais quand même… il faut bien admettre que tout cela est tiré par les cheveux pour le moins… ce fil pendu suspendu… me laissait les bras ballants devant cette abus de l’art… il ne pouvait s’agit que d’une mauvaise plaisanterie… une blague de bas étage… à la Heidegger inspirant une forme d’art martiale…

 

Quoi qu’il en soit celui laissait mon cerveau farci d’idées d’un monde en dérangement en état avancé d’ébullition… perturbé par son arrogance imperturbable… je pensais que la liberté d’expression dans cet esbroufe de monde où il s’affichait… de générations après générations de femmes réduites à l’esclavage du mariage et de la mode… des millions de petits êtres qui ont vendu leur âmes au consumérisme et à la société de consumation… travaillant à la chaine au rythme des heures de pointe pointant vers les Produit National Brut de cette nation ingrate… un monde de loups affamés qui se mangent entre eux…

 

Je pouvais aisément m’imaginer que l’individu moyen corrompu dans ce monde de ‘Like’ illimités tout aussi différents que semblables… la bataille perdue de vouloir trop être soi… face à l’indifférence générale…

 

Je pouvais voir comment le cerveau humain dans sa dimension cosmique se déroulait détalait s’étalait dans l’univers connu et tous els univers à connaître… la forme des choses à venir…le boulet de la gravité universelle…

Je pouvais voir également comment tout ce spectacle ne se réduisait qu’à son costume d’Adam complètement détaché de tout et de tous… un Adam détaché du dieu originel… en perdition… l’éloignant de sa condition d’évolution… libéré de son corps terrestre…

 

Je pouvais régulièrement observer un langage à deux tons digne de remplir des volumes entiers de sa lumière originale planant au-dessus d’une nébuleuse blanche neige qui ramenaient les lueurs Inuit à nos jours et sous nos yeux… riche de son propre vide…

Je voyais l’homme vertical dans le sens horizontal déserté de toute forme de communication… dénudé de tout effort d’échange avec sa propre peau…

Je voyais le symbole de cette méditation zazen pour apporter la paix dans ce monde en folie… un symbole christique appelant à la spiritualité porté au plus haut surréalisme…

Je voyais dans mon esprit en mode Avance rapide mon mental errer accélérer dans toutes les directions à la fois… en proie à des fantasmes autant politiques que burlesques ou artistiques en plein vertige psychédélique…

 

Tout ça pour, lors de mon retour sur Terre, l’entendre conclure sur une standing ovation à tout rompre…

Ce fil est tout ce qui me reste de l’héritage de ma grand-mère Ariane raflée pour Auschwitz par les Nazis au lendemain de son mariage… elle venait de repriser une déchirure dans sa robe blanche après une valse un peu trop emballée… C’est tout ce qu’il me reste d’elle’

 

Et c’est précisément à ce même moment que le fil me tomba sur la tête…  

 

Rédigé par Jesse CRAIGNOU

Publié dans #AudioBooks - Books & eBooks

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