Lulu (extrait)

Publié le 27 Mai 2012

 

Viens dire bonjour à Lucienne’ me dit la vielle fermière voisine qui nous fournissait et crème et beurre et lait… mère âgeant de Lucienne…

Le pré-adolescent sociable et poli que je suis s’approche de Lulu… et lui fait une grosse bise même si elle me rend un bisou baveux…

 

Lucienne est toujours assise dans sa chaise… entre la cheminée de la grande salle de repas, de cuisine, de réception et de séjour de la ferme et la télé encore en noir et blanc… La salle des pas perdus de Lucienne…

 

C’est toujours un grand bonheur de voir Lucienne.

Elle est toujours de bonne humeur… Elle n’a jamais de problèmes et n’en crée pas non plus… Elle toujours contente de voir tout son monde… tout le monde… et le monde qu’elle peut voir… qu’elle ne peut recevoir… que percevoir… qu’apercevoir…

Les dangers et les tribulations du monde ne semblent pas l’affecter… trônant telle une royauté accordant audience au monde qui l’entoure… et se presse autour d’elle…

 

C’est toujours un plaisir de les voir et de voir Lucienne…

Ils sont tellement accueillants et généreux… Ces gens-là avaient encore aussi l’intelligence du cœur…

Lucienne a toujours ce sourire insondable que je n’ai retrouvé que dans la chanson Almaz de Randy Crawford… ‘Personne n’en voudra… car la vie ne l’habite pas…’ dit la chanson qui ne manque jamais de m’émouvoir… et dans la chanson d’Il Était Une Fois… ‘Mais elle ne peut pas danser… elle n’a pas le corps à ça…’ Corazòn… Corps…

 

Car Lucienne ne parle pas… elle essaie bien parfois… mais rien ne sort… rien ne vient… rien ne va… rien de compréhensible… même à moi qui parle pourtant déjà plusieurs langues et ai appris son patois normand… Elle ne bouge pas non plus ou si peu car sa chaise trônant au milieu de la pièce et son univers…

 

Lucienne nous donne des bonbons quand elle peut… je les accepte avec plaisir moi qui n’en mange pas… car sa générosité fait plaisir à voir et son sourire brille sur son monde… et irradie le nôtre… La lumière de Lucienne nous illumine… à sa manière…

 

Sa mère s’inquiète… Que va devenir Lucienne le jour où elle partira ? Mais tous comprennent bien que Lucienne risque de faire ses valises et se faire la malle la première… Au milieu de sa quarantaine Lulu n’a que peu d’espérance de vie… Et d’ailleurs s’occuper d’elle est un boulot à plein temps…

 

Et puis… un jour qui n’était pas fait comme les autres… les services sociaux sont intervenus…

Avec les nouvelles dispositions relatives aux handicapés, vous avez droit à une aide…’, répète ad libitum la matrone des services d’aide à la personne… madone des nécessiteux… qui entonne à chaque visite rapprochée plus la dernière sa ritournelle…

La brave fermière avait beau dire que tous ont toujours été présents pour Lucienne et qu’elle était très bien entourée et heureuse… la missionnaire mercenaire du social n’en avait cure… ‘Et puis… soyons honnêtes et regardons le choses en face… vous ne rajeunissez madame C…

La sentence était tombée comme un couperet qui couperait le cordon ombilical du duo mère-fille… binôme mère-môme…

 

Et il ne fut pas long le délai qui vit l’éviction et la réinstallation de Lulu dans son nouvel asile… où Lucienne… notre Lucienne à tous… allait au-devant d’une nouvelle vie… et nous n’avons plus vu Lulu… installée en ville à portée de tout… déportée de tous…

 

 

Lucienne n’a pas résisté…

La télécommande n’était pas pratique pour ses gros doigts gourds… inarticulés qui n’arrivaient pas à tenir et courir sur le cadran de la boite… Les ustensiles glissaient de ses mains… et elle ne savait pas cuisiner nettoyer ranger… D’ailleurs elle n’avait pas le corps à ça… et n’avait pas le cœur à ça…

Sa chaise n’arrivait pas assez près des meubles et ustensiles qu’elle avait trop de mal à manipuler… L’éloignement… La distance ont fait le reste…

Son aide à la personne n’était personne d’autre qu’une étrangère souvent acariâtre et impatiente qui n’était pas sa mère… n’avait pas l’amour d’une mère l’attention d’une mère mais la tension… dont n’avait pas besoin Lucienne… qui la forçait à faire les efforts dont elle était incapable… Mais surtout Lucienne était seule… Elle n’avait jamais aspiré jamais demandé cette vie qu’on lui avait imposée…

Bientôt Lucienne ne mangeait plus ne buvait plus… Lulu ne vivait plus… Lulu avait tout perdu quand elle nous avait tous perdus…

 

 

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http://www.youscribe.com/catalogue/livres/litterature/romans-et-nouvelles/au-bord-d-elles-1592503


 

Jesse CRAIGNOU

Rédigé par Jesse CRAIGNOU

Publié dans #Nouvelles Histoires - Short Stories

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